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The Good Forum 2025 : Le luxe durable porté par les coalitions d’entreprises

Tanja Filipovic
Regional Luxury Strategy Partner, Valtech

mars 25, 2025

Comment impulser la transition durable dans l’industrie du luxe ? C’est la question qui a animé The Good Forum 2025, événement dédié cette année aux coalitions d’entreprises au service du luxe durable. La nécessité d’avancer ensemble entre les différentes maisons et acteurs de l’écosystème du luxe pour réussir la transformation de leurs business model, en s’appuyant sur l’innovation et l’intelligence collective est plus que jamais une priorité. Ici, la vision commune est de créer une dynamique collective vers un luxe durable. Celui-ci ne pourra émerger qu’à travers une coopération active et une vision partagée.

Entre traçabilité, transparence, économie circulaire, innovation et régénération des écosystèmes, cette édition a mis en lumière, à travers les enseignements, constats et pistes de réflexions d’experts*, les grands défis à relever et les solutions actuelles.

La durabilité et le constat sur les tendances émergentes

L’une des idées fondamentales portées par The Good Forum est que le luxe durable ne pourra émerger qu’à travers une coopération active entre les maisons de luxe et leurs écosystèmes. Dans un secteur où l’intemporalité et la rareté définissent la valeur, la transformation vers un modèle plus responsable implique une mutation des business model et une adoption accrue de pratiques circulaires.

L'émergence de phénomènes tels que le quiet luxury et le luxury shame illustre bien l'évolution des attentes des consommateurs : le premier traduit un désir d'authenticité et d’intemporalité, tandis que le second reflète un désir de changement face à l’impact écologique et social du secteur du luxe.

En Europe, la transparence est devenue un facteur clé dans l’acte d’achat. Les clients veulent savoir d’où viennent les matières premières, quelles sont les conditions de fabrication et quel est l’impact environnemental du produit. À l’inverse, en Asie, l’image de marque et le prestige restent des éléments primordiaux dans la décision d’achat. D’où une question centrale pour l’industrie : comment intégrer la durabilité au cœur de l’excellence du luxe ?

Une dimension géopolitique et stratégique : « Le luxe est élevé à l’état d’Art »

Loin d’être un secteur à part, le luxe s’impose également comme un acteur stratégique à l’échelle mondiale.

  • La signature du Fashion Pact en 2019 lors du G7 a illustré cette prise de conscience collective, en rassemblant 56 entreprises engagées dans une trajectoire plus durable, dont 24 issues de la mode et du textile.

  • Aussi, la globalisation du luxe en fait un puissant outil de soft-power. Le secteur du luxe possède une résilience unique face aux crises, notamment parce qu’il est intrinsèquement lié à des valeurs fortes : savoir-faire, héritage et innovation.

  • La durabilité des produits de luxe constitue un atout de choix en raison de leur intemporalité. Les produits iconiques, comme le sac Lady Dior, dont les sommes investies sont pharaoniques. Le consommateur achète un produit avec une histoire, un savoir-faire unique et qui traverse le temps sans perdre de sa valeur et de l’attractivité. Il survit aux tendances et se réinvente au fil des saisons.

  • Enfin, le développement durable dans la seconde main est un axe stratégique pour les maisons de luxe afin de répondre aux attentes de leurs clients.

Transparence et régulation dans le luxe : des mutations profondes pour construire une ambition commune

La transparence sur l’ensemble de la chaîne de valeur devient un enjeu clé. La loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) a initié un véritable processus de transformation, notamment au sein du groupe Kering, qui a toujours anticipé de façon proactive les régulations. Cela implique :

  • La préparation des équipes.

  • L’engagement des fournisseurs.

  • Une collecte méticuleuse des données.

Cette transparence est également au cœur de la stratégie de Balenciaga.

Ainsi, les trois principaux enjeux des entreprises dans le secteur du luxe sont :

  • La traçabilité, consistant à suivre un produit depuis le début (champs) jusqu’au client final à l’aide des données disponibles et fiables

  • La transparence sur toute la chaîne d’approvisionnement exige qu’une entreprise sache exactement ce qui se passe à chaque étape de sa chaîne d’approvisionnement

  • Les coalitions des Maisons et Groupes de luxe en Écosystème pour soutenir et accélérer ensemble le changement

La règlementation joue également un rôle clé pour collecter la donnée, l’exploiter, analyser les écarts pour initier des parcours de transformations rapides.

Ceci d’autant plus que la chaine de valeur de la mode est très fragmentée, par son business model, avec plusieurs collections annuelles. La fine connaissance des fournisseurs qui sont des partenaires historiques pour certaines maisons, est essentielle, ainsi que la dimension « savoir-faire » pour produire des produits d’exception. La transformation de cette chaîne de valeur, avec beaucoup plus de visibilité sur les étapes « en amont » (supply chain, connaissance client) et l’harmonisation des bonnes pratiques permettront d’arriver à une approche « end-to-end ».

La technologie est un autre facteur clé de cette mutation, avec la digitalisation des données avec les plateformes performantes et l’organisation des équipes internes.

L’émergence du Digital Product Passport (DPP), un accélérateur pour assurer aux marques la traçabilité de leurs produits avec un identifiant unique durant toute la vie de leur produit, constitue une avancée majeure dans cette quête de transparence et de responsabilité.

Enfin, trois facteurs clés du pour une transformation réussie sont à prendre en compte :

  • Intégrer le client et le responsabiliser dans cette démarche de transformation.

  • Instaurer une culture du développement durable.

  • Intégrer l’ADN du luxe comme élément différenciateur.

Innover durablement à travers les siècles

Si l’innovation technologique joue un rôle central dans l’évolution du luxe, elle ne suffit pas à elle seule à garantir une transformation véritablement durable. L’innovation doit s’accompagner d’une vision stratégique et d’une refonte des modèles existants pour répondre aux nouvelles attentes et aux impératifs environnementaux.

Comment définir le luxe responsable et apporter des réponses aux consommateurs ?

Les marques participent de plus en plus à des événements qui placent l’expérience au centre de leur stratégie. Mais, comme le souligne Barbara Coignet, fondatrice de 1.618 Paris, « L’innovation, ce n’est pas que de la technologie ». Pour changer la société, il faut de l’audace et une vision, mais aussi des coalitions. Le luxe s’incarne ainsi dans une démarche holistique, et de très belles illustrations se trouvent dans la création d’évènements qui placent l’expérience au cœur du nouveau luxe, où la magie nous touche émotionnellement.

Aussi, la solution pour rendre le luxe responsable est la création d’un écosystème soutenu par l’audace, l’innovation et une vision commune des acteurs dans le luxe pour changer la société et apporter quelque chose d’innovant sur le marché : le bien commun est une richesse à partager, si la destination est commune.

Les modèles circulaires dans le luxe, un levier incontournable

Les modèles circulaires sont en pleine expansion dans le luxe, mais leur adoption à grande échelle reste un défi. Cinq business models circulaires se développent dans le luxe :

  • La valorisation des ressources, qui consiste à optimiser l'utilisation des matières premières en réduisant les déchets et en favorisant le recyclage des matériaux.

  • Le sourcing circulaire, qui repose sur l'intégration de matériaux recyclés et de matières premières durables dans les processus de fabrication.

  • L’extension de la durée de vie des produits, qui passe par le développement de services de réparation, d’entretien, de seconde main et d’upcycling.

  • L’économie de la fonctionnalité, qui vise à favoriser des modèles de consommation basés sur l’usage plutôt que sur la possession (location, partage d’articles haut de gamme).

  • Les plateformes collaboratives, qui encouragent le partage et la revente entre particuliers ou via des partenaires spécialisés. Ces initiatives permettent non seulement de répondre aux attentes d’un public plus soucieux de son impact, mais aussi de créer une nouvelle dynamique économique pour le marché du luxe.

Bien que de nombreuses initiatives existent, le passage à l’échelle reste un défi. Actuellement, le taux de circularité mondial plafonne à 7,2 %, et dans la mode, seulement 32 % des produits sont recyclés en France. Pour y remédier, les marques doivent :

  • Créer une désirabilité autour des produits circulaires en travaillant sur le design et l’histoire des pièces.

  • Industrialiser la chaîne de valeur adaptée en impliquant l’ensemble des parties prenantes, des fournisseurs aux consommateurs.

  • Créer des coalitions pour avancer ensemble.

Pour aller encore plus loin dans l’implémentation de modèles circulaires dans le luxe, les marques doivent :

  • Rendre les produits désirables.

  • Pour les produits haut de gamme, travailler la personnalisation du produit avec un usage répété.

  • Industrialiser la chaine de valeur des produits circulaires.

  • Avancer ensemble avec les fournisseurs.

  • Améliorer l’engagement grâce aux retours clients.

  • Créer des synergies avec les concurrents.

Vers une transformation réussie : comment inscrire l’économie circulaire dans la stratégie des maisons ?

L’économie circulaire fait désormais partie intégrante des stratégies des acteurs du luxe. La seconde main s’intègre progressivement dans leurs offres et répond à une demande croissante des consommateurs.

En France, l’économie circulaire est un marché qui représente 6 milliards d’euros et repose sur une approche 360° de la chaîne de valeur. Ce marché s’intègre progressivement dans les stratégies des maisons grâce à des actions quotidiennes, des partenariats stratégiques et l’implication de écoles.

L’industrie du luxe opère la transition vers un modèle circulaire en particulier dans le segment de la beauté. Les enjeux de cette transformation sont les suivants :

  • Réussir leur passage à l’échelle avec la chaîne de valeur circulaire.

  • Adopter une vision holistique et intégrer tous les départements autour de la seconde main.

  • Revoir les offres pour inclure des options durables et attractives.

  • Exploiter la data et l’IA pour créer des modèles prédictifs.

  • Trouver un modèle économique compétitif pour que le réemploi d’un produit soit plus compétitif que l’usage unique du même produit.

Fédérer la gastronomie vers plus de durabilité

Comment faire de la qualité avec des produits durable et une vision pour créer de l’émotion chez les clients ? La gastronomie étant un terrain de jeu essentiel pour les maisons de luxe, l’évolution des pratiques en matière d’alimentation font office d’inspiration pour l’ensemble de l’industrie.

Voici comment réinventer son Business Model dans la gastronomie avec trois exemples :

  1. L'essor du végétal, incarné par le chef Alain Passard (Restaurant Arpège), qui prône une cuisine centrée sur les produits issus du végétal. « Le végétal est la lumière qui est arrivée. J’ai une passion pour la couleur, et la couleur, c’est le végétal ! Et je sais d’où mes légumes viennent », affirme-t-il, mettant en avant l'importance du circuit court et du respect des saisons dans la gastronomie.

  2. L’étoile verte Michelin, qui récompense les restaurants intégrant des pratiques durables dans leur approche culinaire. Elisabeth Boucher-Anselin, directrice communication au Guide Michelin, souligne l’ambition de cette distinction : « La gastronomie durable, c’est du bon, du bien, du beau et surtout, c’est celle de demain. On espère qu’elle deviendra standard ». Avec plus de 500 établissements distingués sur 17 000, cette reconnaissance pousse l’ensemble du secteur à repenser son impact écologique.

  3. L’agriculture biologique régénérative, une approche visant à restaurer les sols et à optimiser les rendements de manière durable. Hippolyte Courty, fondateur de L’Arbre à Café, partage son expérience : « On vient du monde du vin, et on voulait transposer ce savoir-faire dans le café. On possède donc des terres au Pérou, qu’on travaille avec plusieurs agricultures biologiques régénérative. On a des rendements supérieurs à la moyenne conventionnelle ».

Ces initiatives démontrent que la gastronomie, au même titre que les autres segments du luxe, peut évoluer vers des pratiques plus vertueuses sans sacrifier l’excellence ni l’expérience client.

Comment régénérer les écosystèmes vivants ?

Le luxe ne peut plus se limiter à la réduction de son empreinte environnementale : il doit devenir un acteur de régénération des écosystèmes. À ce titre, des initiatives comme le World Living Soils Forum lancé en 2022 et coorganisé par Moët Hennessy et ChangeNOW, illustrent cette ambition, mettant en lumière l’importance des sols dans la production de vins et champagnes.

L'impact écologique passe ainsi passe par la création de méthodes et de mesures communes du progrès en matière de pratiques durables, appliquées dans des secteurs aussi variés que les cosmétiques, la mode ou la gastronomie.

L’émergence de coalitions entre marques, institutions et producteurs jouera également un rôle déterminant dans cette dynamique.

Conclusion

En conclusion, le message commun porté par les acteurs du luxe lors de l’événement The Good Forum 2025 a résonné comme un appel à faire évoluer ensemble les pratiques dans le secteur. En effet :

  • Le pouvoir de la circularité réside dans la capacité à s’appuyer sur un écosystème solide pour mieux naviguer dans l’incertitude.

  • La circularité est un moyen de réduire les impacts finaux.

  • Les clients dans le luxe ont besoin d’être associées d’avantage ce qui nécessite de la transparence, de connaitre leurs intentions et de tester.

Le message commun portés par les acteurs du luxe est unanime : ils ne peuvent pas avancer seuls. Comme l’a souligné Hélène Valade, Directrice développement environnement chez LVMH, pour clore les échanges : « Les enjeux auxquels nous sommes confrontés sont tels que nous ne pouvons pas être seuls. Et d’autant plus dans le luxe, où nous fabriquons peu et où nous sommes très influents. Si la durabilité n’est pas ce qui va déclencher l’achat de nos produits à un consommateur, mais c’est un élément qui peut faire que le consommateur n’achète pas si nous ne pouvons montrer cette démarche ».

 


* Conférences citées dans l’article 
 

- Keynote d'introduction, par Emilie Kovacs (Rédactrice en chef, The Good) et Sebastien Danet (Président, INfluencia) 

 

- « Comment intégrer la durabilité au cœur de l’excellence du luxe ? », Olivier Guillon, (OpinionWay) 

- « Prendre de la hauteur 10 mn », Interview de Bruno Lavagna (fondateur de Be.Exclusive et auteur de « Géopolitique du luxe », Eyrolles, 2021) 

- « Innover durablement à travers les siècles », Barbara Coignet  (1.618 Paris)  

- « Regard sur l’économie circulaire dans le luxe » - Une keynote de Felix Papier (ESSEC Business School) 

- Interview croisée au hashtag#TheGoodForum sur l’économie circulaire inscrite dans une stratégie avec Marine Deconinck (Hôtel Le Meurice) et Maxime Delavallee (Fédération de la Mode Circulaire & CrushON)  
 

- « Le pouvoir de la circularité » - Panel avec Jules Coignard (Circul'R) et Guillaume Lascourrèges (Groupe Clarins) qui présentent la Coalition Cosmétique & Consigne, un test du réemploi des packagings dermo-cosmétiques. 

- « Fédérer la gastronomie vers plus de durabilité » - Une table-ronde avec Elisabeth Boucher-Anselin (The MICHELIN Guide), Alain Passard (Restaurant Arpège) et Hippolyte Courty (L' Arbre à Café) 

- « Comment régénérer les écosystèmes vivants ? » - Une table-ronde avec Sandrine Sommer (Moët Hennessy), Frederic Revol (Domaine des Hautes Glaces) et Sonia Le Masne (Martell Mumm Perrier-Jouët) 

- « Comment inscrire l’économie circulaire dans sa stratégie » Marine Deconinck « Meurice » et Maxime Delavallee Président Fédération de la mode circulaire  

- « L’importance de rendre à la Nature ce qu’elle nous donne » - Interview croisé avec Claude et Lydia Bourguignon (Laboratoire d'Analyses Microbiologiques des Sols) 

 - Hélène VALADE (LVMH) - Conclusion 

 

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