novembre 17, 2020
Il est toujours difficile de percevoir un rayon de soleil au beau milieu d'une tempête. Alors que le monde entier est en proie à la crise sanitaire, nous cherchons à aller de l'avant en nous posant des questions existentielles. Qui sommes-nous ? Qu'est-ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue ? Qu'est-ce que l'avenir nous réserve ? Ces questions nous aident à donner un sens au monde. Leur apporter une réponse nous permet de retrouver pied en ces temps incertains.
L’impact que le Covid-19 aura eu sur nos vies se fera longtemps sentir, tout particulièrement en matière de santé et de notre perception du personnel soignant. Les évènements imprévus de cette ampleur ont tendance à changer notre façon de voir les choses, même si ce changement n’est pas toujours évident. Ils nous rappellent à quel point la vie peut être fragile et fugace. Les chocs subis nous font prendre conscience que peu de choses sont éternelles, qu’il s’agisse de notre façon de voir le monde ou des systèmes qui maintiennent notre société.
L’importance de la coexistence
Nous avons retenu de cette crise que la coexistence est vitale à notre bien-être, et que les actions d’une seule personne en temps de crise peuvent avoir de vastes implications collectives. Cette expérience nous fait prendre conscience du niveau d’intrication des systèmes complexes, et d’à quel point leur ensemble ainsi que les éléments qui les composent dépendent les uns des autres. Nous avons réalisé l’aspect symbiotique de notre existence, et le fait que les besoins individuels et ceux de la nature elle-même sont profondément imbriqués. Nous avons réalisé pour la première fois, peut-être, que rien ni personne ne peut exister en isolation ; être humain consiste fondamentalement à transcender un but qui dépasse l’intérêt individuel.
Le paysage changeant de nos systèmes de santé
La pandémie a mis nos systèmes de santé à rude épreuve. Du jour au lendemain, les points de contact traditionnels d’interaction ont changé de façon radicale. Les hôpitaux ont créé de nouvelles installations, et complètement remanié leurs flux de travail. Ils ont contourné la chaîne de commandement des hiérarchies établies, et réformé le personnel afin de pouvoir répondre aux exigences de la situation. Dans le même temps, les médecins généralistes ont intensifié et réinventé leurs méthodes de diagnostics et de traitement des patients en période pandémique. De façon semblable, les autres parties prenantes du domaine de la santé ont toutes fait l’expérience de ce « tremblement de vie » à leur propre échelle ; un changement fondamental dans les lieux et les manières d’interagir pour fournir des soins optimaux.
L’évolution la plus importante dans le domaine de la santé est le passage de l’analogue au digital des points d’intervention (Point of Care, ou PoC), et de l’internalisé vers l’externalisé. Cette transformation s’articule autour d’un principe indéniable : que la personne confrontée à des problèmes de santé devrait toujours être au centre de toutes les interactions, et que toutes les parties impliquées doivent collaborer pour produire des résultats positifs pour la santé de cette personne. La réponse collective au Covid-19 aura un effet ricochet sur l’ensemble du paysage sanitaire, amplifiant une demande de changement qui se faisait déjà pressentir auparavant. Au fur et à mesure que le paysage se modifie, organisations comme individus se verront contraints de se poser une question fondamentale : faisons-nous ce qui est juste ?
Et si les budgets de santé public privilégiaient le traitement, plutôt que la prévention ? Cela pourrait aplatir momentanément la courbe pour les domaines prioritaires, comme le cancer. Cependant, cela ne réduira pas la prévalence des maladies non-transmissibles sur le long terme. Et si les médecins de première ligne ne recevaient de remboursement que sur la base d’un modèle de rémunération à l’acte ? Cela pourrait les inciter à recevoir davantage de patients. Cependant, cela finirait également par nuire à leur capacité à réellement comprendre la situation et les besoins de chaque patient. Et si les compagnies pharmaceutiques concentraient leur portefeuille sur des produits à faible volume et marge élevée ? Cela pourrait, à court terme, satisfaire les actionnaires et maintenir un taux de croissance à deux chiffres. Ceci entrainerait cependant une hausse en flèche des prix et une érosion de la capacité à long terme du système de santé à payer les médicaments. Ces exemples illustrent l’existence de déséquilibres dans le paysage actuel de la santé, qui sont cause de fautes systémiques.
Valeur à court terme plutôt que long terme. Quantité plutôt que qualité. L’intérêt personnel, privilégié à l’intérêt commun. La coexistence est la clé de la refonte du système de santé, et d’un retour à l’équilibre. Nous sommes actuellement dans une période charnière de l’histoire où toutes les parties prenantes ont une occasion unique de renouveler leur modus operandi, et où chacun devrait joindre ses efforts à la promotion d’un programme permanent, partagé et véritablement centré sur l’humain.
Réimaginer la stratégie sanitaire
Les prestataires de santé qui se montreront capables de réimaginer leur stratégie pour mieux s’engager avec le monde environnant se verront éclairés par ce rayon de soleil qui perce les nuages. Cela leur demandera de repenser leurs rôles ainsi que les responsabilités qu’ils sont prêts à assumer, et les coalitions significatives dans lesquelles ils sont prêts à s’engager. Ceci déclenchera un changement de mentalité indispensable, de l’unilatéral vers le multilatéral, établissant un cycle de résilience entre l’engagement push et pull. À un niveau plus tactique, ceci conduira à une refonte totale de la manière dont les parties prenantes contribuent, directement ou indirectement, à l’amélioration à long terme des PoC. En ce sens, la technologie digitale et les écosystèmes digitaux deviendront des super-facilitateurs de la coexistence.
L’impact du Covid-19
Nos expériences personnelles du Covid varient énormément. Certains sont plus occupés que jamais, repèrent des opportunités, et se lancent dans de nouvelles entreprises. D’autres ont vu leur gagne-pain disparaître, ou traversent la perte d’un être cher. Chacun d’entre nous a une perception différente de cette réalité, et cela influence notre façon de gérer la crise actuelle.
La réponse humaine naturelle à un danger inconnu est de passer directement en mode « résolution de problème », et d’adresser les situations les plus urgentes. Il faut cependant avoir conscience que cet instinct peut empiéter sur le temps qui nous est nécessaire pour internaliser et comprendre ce que nous traversons. Sommes-nous confrontés à un problème isolé qu’il nous faut résoudre, ou une situation entièrement nouvelle qu’il nous faut incorporer ? Selon le prix Nobel Daniel Kahneman et sa théorie du Système 1 / Système 2, il s’agit là de deux modes de fonctionnement fondamentalement différents. Le premier est rapide, automatique et sujet à erreur. Le deuxième est lent, exigeant mais plus fiable. Nous devons utiliser ces deux approches afin de créer un monde nouveau et meilleur.
Alors que nous remettons en question notre capacité à faire ce qui est juste, nous devons surpasser les efforts progressifs. Il ne suffit pas de procéder à des ajustements mineurs et rapides de nos modèles d’entreprise, ou de se contenter de faire passer les transactions commerciales existantes par un nouveau canal digital. Cela soulève une question bien plus importante quant à la façon dont nous abordons notre coexistence.
Certains profitent du système pour en tirer le plus grand profit possible pour eux-mêmes. D’autres travaillent à l’intérieur du système sans remettre en cause leur contribution et leur responsabilité propres. D’autres encore collaborent ensemble dans le but d’améliorer le système.
Préparer son prochain coup
Nous devons nous demander quel genre d’individu nous voulons devenir. Quel est le prochain coup à jouer ? Tout ceci souligne la nécessité pour nous, en tant que parties prenantes individuelles et collectives du paysage sanitaire en son ensemble, de choisir qui nous voulons être, ce que nous représentons et pourquoi cela nous importe.
À mesure que les écosystèmes digitaux prennent en maturité et que les grandes entreprises technologiques envahissent l’espace sanitaire, notre perception du modèle optimal de soins est vouée à changer, tout comme les services de santé, les modèles de remboursement, l’attitude des consommateurs et les régulations gouvernementales. Les plans de monétisation des données sanitaires, supprimant les intermédiaires et établissant une relation données-contre-services avec les utilisateurs finaux, permettront une approche plus proactive et holistique de la santé. Mais ils comportent également un risque proéminent que nous nous dirigions vers un scénario où quelques contrôleurs d’accès dominants monopoliseraient l’accès aux données sanitaires, et mettraient à mal l’effort collaboratif de coexistence à long terme.
Le digital renferme le potentiel de fournir de meilleurs soins de santé, plus abordables et à destination d’une population plus nombreuse. Il agira très certainement en tant que super-facilitateur de la coexistence. Il peut nous aider à décider le prochain coup à jouer, et discerner comment remporter la partie, tous ensemble. Mais cela ne nous dispense pas de nous poser les questions éthiques liées à l’inéluctabilité de son utilisation. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons garantir que toutes les parties prenantes travaillent ensemble sur ce système pour assurer une amélioration durable de ce qui compte le plus dans notre vie : notre santé et nos relations.