janvier 06, 2023
Aujourd'hui, il existe d'innombrables manières d'agir sur la performance des ventes de produits de luxe. Si la pandémie a joué un rôle dans les changements rapides observés dans le secteur, elle est loin d'être le seul facteur d'influence. Nous assistons en effet à un changement de profil du consommateur de produits de luxe : plus jeune, moins regardant sur les distributeurs et plus intéressé par les expériences numériques que par les produits physiques.
Pour les générations précédentes, il était facile d'attribuer un statut social basé sur les produits que l'on possédait (le sac à main, le manteau, la montre, etc.). Aujourd'hui, la question se situe davantage dans la manière dont les consommateurs vivent l'expérience de la marque dans les mondes physique et numérique.
Je crois profondément en la capacité des acteurs du luxe à relever le défi de la transformation numérique.
Ilaria Aprile
Global Account Lead Luxury, at Valtech
Une transformation digitale réussie ne vise pas seulement à améliorer l'agilité opérationnelle et la performance des canaux, mais aussi à élever l'expérience du client pour répondre au mieux à ses attentes. Cela a toujours été le principal moteur de toute marque de luxe à succès : quelle que soit la complexité des défis, les marques doivent investir pour réussir.
Quels sont les changements qui ont retenu votre attention ?
I.A : Pour l'ensemble de l'industrie du luxe, le COVID-19 a été un moteur de changement, obligeant les marques à accélérer la transformation numérique et les propulsant vers un mode de fonctionnement digital centré sur le client. Ce changement a mis en évidence la nécessité de modifier les structures organisationnelles et d'utiliser de nouvelles technologies.
Nous avons vu que les consommateurs exigeaient des marques plus d'adaptabilité, de réactivité et de personnalisation, mais que de nombreux retailers ne disposaient pas des bases technologiques et des données nécessaires pour répondre à ces attentes. Certains étaient vraiment très en retard dans la course au numérique et leur besoin urgent d'innovation se heurtait à une infrastructure vieillissante, à des services clients déconnectés et à des données en silo. La pandémie a mis en évidence le manque de compétences nécessaires pour relever ces défis.
Les marques ont appris à leurs dépens que le processus de transformation numérique devait être considérablement accéléré et que les investissements technologiques devaient devenir le moteur de la croissance.
Aujourd'hui, les consommateurs veulent interagir avec les marques à travers de multiples points de contact. À l'avenir, les retailers devront être en mesure de construire le bon écosystème pour interagir avec le client au bon moment et au bon endroit afin de rester compétitifs.
Les marques qui construisent une base technologique solide, associée à une architecture de données robuste et à l'utilisation de l'IA seront en mesure d'avoir un impact sur les performances.
Certains pourraient également envisager les plateformes d'expérience numérique modernes et composables, basées sur les technologies MACH (Microservices, API first, Cloud native and Headless), qui sont justement conçues pour prendre en charge ce type d'écosystèmes complexes.
Quels sont les "must have" des marques de luxe pour rester compétitives dans ce nouveau contexte ?
I.A : L'hyper-personnalisation est le nouveau must ! Les clients plus jeunes, natifs du numérique et indifférents vis-à-vis des canaux de distribution ont placé la barre très haut en ce qui concerne leurs attentes en matière d'achat. Ils s'attendent à pouvoir acheter n'importe où (produits physiques et numériques, en magasin, en ligne ou via le livestreaming), à être livrés n'importe où et à retirer leurs achats n'importe où.
Ils attendent également des marques qu'elles leur proposent des choix de produits et des expériences adaptés à leurs préférences individuelles. Pensez à des expériences d'achat et à des événements organisés en ligne, notamment des consultations via Zoom, des services de conciergerie, des liens de paiement personnalisés, etc.
Les marques ont un grand défi à relever pour être en mesure de répondre de manière cohérente à ces attentes sur tous les canaux. Mais l'essor de l'IA et du Machine Learning ces dernières années a facilité les choses.
Sur quoi les marques de luxe doivent-elles se focaliser pour répondre aux attentes des clients après la résorption du COVID ?
I.A : Sur le D2C (Direct To Consumer) ! Traditionnellement très dépendant des grossistes tels que Net-a-Porter ou Matches Fashion, le modèle économique de la vente de luxe et de la mode en ligne a connu une transformation rapide au cours des dernières années. Cela a mis en évidence l'importance pour les marques de maintenir une relation directe avec les clients à travers leurs propres canaux de vente. L'amélioration de la performance e-commerce en D2C est devenue une priorité essentielle pour les dirigeants des marques.
Aujourd'hui, rares sont ceux qui peuvent espérer voir leurs ventes en ligne D2C dépasser les 10 % de leurs revenus globaux.
L'opportunité de croissance est importante, mais pour rivaliser avec les pure players, il faut s'aligner sur leurs normes élevées en matière d'expérience et de niveau de service. Ils doivent consolider leurs plateformes e-commerce, leurs capacités opérationnelles et développer leurs équipes spécialisées afin d'être en mesure d'étendre leurs opérations e-commerce dans plusieurs pays pour répondre aux besoins de marchés spécifiques.
Le rôle du magasin est en train d'évoluer vers un environnement virtuel adaptatif et interactif qui encourage l'engagement et la fidélité à long terme et présente aux clients de nouvelles façons d'aborder les produits et les services. Les marques intègrent le numérique pour améliorer l'expérience d'achat physique dans l'ensemble des opérations (click and collect, RFID, applications mobiles, automatisation de la gestion des commandes) et tout au long du parcours du client (miroirs numériques, caisse fluide sur iPad, produits interactifs et magasin-vitrine).
Récemment, nous avons vu le magasin devenir "mobile" afin que le client puisse vivre la meilleure expérience d'achat qu'une marque puisse offrir directement chez lui ou en vacances, grâce à la personnalisation numérique. La start-up Toshi, basée à Londres, propose ce service pour LVMH.
Je doute que nous assistions un jour à un pivotement complet vers l'achat en ligne pour les clients du luxe. Le magasin restera toujours un point de contact expérientiel important, mais les clients attendront des retailers une expérience en magasin plus intuitive.
Pour aider les marques à intégrer ces innovations dans la chaîne de valeur du luxe, nous avons assisté à l'émergence d'un écosystème de start-ups prêtes à répondre à tous les besoins des consommateurs et à apporter des idées nouvelles aux acteurs du secteur.
Qu'il s'agisse de solutions de livestreaming, d'outils de clientélisme avancés, d'essais virtuels, de solutions de dimensionnement numérique ou de chatbots interactifs, la liste est longue. La quête de l'excellence du service à la clientèle est permanente et en constante évolution, ce que je trouve personnellement très excitant.
Selon vous, quel sera l'impact du Web3 sur le secteur en tant que moteur de changement ?
De l'omnicanal aux expériences immersives
I.A : Le Web3 est en train de façonner une nouvelle économie qui offre la possibilité de créer une source de revenus supplémentaire pour les entreprises de luxe.
Pour toucher des publics encore peu exploités et recruter de nouvelles générations de clients, les marques de luxe cherchent désormais à intégrer leur potentiel nouvel environnement, le métavers.
Même si un métavers entièrement formé (un réseau étendu et interopérable d'univers accessibes en temps réel qui peuvent être vécus de manière synchrone par un nombre illimité d'utilisateurs avec un sentiment individuel de présence) n'existe pas encore en raison des contraintes technologiques, les acteurs du secteur du luxe se préparent à développer des communautés qui contribueront à construire une relation de confiance avec les consommateurs.
Au cours des 12 derniers mois, nous avons vu d'importants acteurs du secteur du luxe créer des expériences sur différentes plateformes métavers en suivant une approche par essais et erreurs. Les marques qui, pour moi, réussiront dans cet environnement sont celles qui apprendront à s'adapter et à construire une véritable expérience de marque dans ces espaces, avec des communautés nouvellement créées.
Je pense que la prochaine étape consistera pour les leaders du secteur à abandonner les initiatives ponctuelles et les coups marketing pour se concentrer sur la manière de faire de cet espace une source durable de revenus : imaginez que les marques puissent lancer des collections numériques virtuellement 5 ou 6 fois par an - comme elles le font dans le monde réel - sur différentes plateformes.
Pendant ce temps, les marques les plus avant-gardistes se concentrent sur la création de la demande. Gucci a créé une collection sur mesure destinée uniquement à habiller les PFPs (Profile Picture Projects) du Bored Apes Yacht Club. C'est un bon exemple d'une marque qui réussit à créer une demande dans cet espace en habillant les célébrités résidentes comme elle le ferait dans le monde réel. Mais il y a encore un fossé entre les personnes qui font l'expérience du métavers et celles qui achètent dans le métavers.
Une étude récente menée par Valtech Future Studio a mis en évidence le fait que seuls 10 % des personnes qui visitent le métavers y réalisent un achat.
Néanmoins, le métavers a déjà un impact sur les entreprises de prêt-à-porter tout au long du cycle de la création (jumeaux numériques, essayages virtuels, hologrammes, production de modèles en 3D, essayage par scanner corporel virtuel...) et il va également remodeler le paysage du retail. Qu'il s'agisse d'expériences d'achat physiques ou d'un changement dans la façon dont nous vivons le magasin, il brouille les frontières entre le contenu et le produit.
Je pense que les services omnicanaux traditionnels vont évoluer vers des expériences d'achat totalement immersives. Les mondes numérique et physique s'interconnecteront inéluctablement, et les marques devront assurer une transition transparente entre les deux mondes.
L'adoption complète viendra dans quelques années et son rythme sera déterminé par les progrès technologiques, l'interopérabilité entre les environnements virtuels et l'acceptation sociale.
En fonction de leur vision à long terme et de leurs objectifs de revenus, les marques devront décider du niveau d'investissement qu'elles sont prêtes à consentir pour développer et intégrer les technologies qui leur permettront de croître et de soutenir cette évolution de la clientèle.
Le critère de réussite pour ces entreprises sera de trouver un moyen de s'approprier cette expérience de bout en bout. De la stratégie à la technologie en passant par le changement organisationnel, chacun des éléments devra fonctionner de concert pour avoir un impact commercial durable.
Nous espérons que cet article vous a été utile et qu'il vous a donné l'inspiration nécessaire pour faire évoluer certaines de vos activités. Forte de plus de 15 ans d'expérience dans la mise en œuvre de stratégies en ligne et hors ligne pour l'industrie du luxe en Asie et en Europe auprès d'entreprises telles que la coentreprise Net a Porter/Alibaba, Christian Dior et La Perla, Ilaria travaille aux côtés de nos clients du secteur du luxe pour soutenir leur transformation numérique. Si vous souhaitez poursuivre la discussion, n'hésitez pas à la contacter : ilaria.aprile@valtech.com.