mars 13, 2023
La rencontre entre Michael Porter et l'univers du e-commerce.
Nous vivons une époque difficile et pleine de défis, mais aussi une époque extrêmement passionnante, notamment dans le domaine du e-commerce.
Le secteur s'apprête à vivre des changements stratégiques importants. Forts de plus de 15 ans d'expérience, nous pensons que le marché est sur le point de mettre un genou à terre.... mais que nous assisterons à l'avènement d'une nouvelle ère.
Notre affirmation repose sur des bases solides : en nous aidant des enseignements de Michael Porter, nous allons prouver ce que nous avançons.
Tout d’abord, voici un rappel du postulat du célèbre modèle de Michael Porter :
Les entreprises doivent soit s'affronter sur le terrain des coûts et adopter une position de leader en la matière, soit essayer de se différencier. Autrement, elles se retrouvent "coinées entre les deux". Toutefois, il est également possible de choisir de mener une stratégie de niche complète, dans laquelle les grands acteurs ne s'attaqueront pas à votre activité.
Le e-commerce était une activité florissante pour tous... jusqu'à ce qu'il ne le soit plus
Pendant des années, le e-commerce des "Pure Players" a été une activité en plein essor. Les taux de croissance étaient énormes car les clients passaient du hors ligne au numérique. Les e-commerçants utilisaient le digital dans le cadre de leur combinaison de canaux de distribution. Les marques ne leur faisaient pas concurrence et les principales places de marché n'investissaient pas massivement dans Google.
Les Pure Players ont donc prospéré, notamment en raison des imperfections du marché. Ils ont pu mener une activité prospère parce que :
- La chaîne d'approvisionnement n'était pas mature (peu d'acteurs eux vendaient en ligne, ou ils faisaient un mauvais travail d'exécution).
- Ils pouvaient détenir des stocks de produits pendant de longues périodes à moindre coût grâce à des taux d'intérêt peu élevés.
- Ils n'avaient pas de concurrence importante en matière de référencement et d'AdWords.
Pendant ce temps, les marketplaces ont poursuivi leur progression à un rythme quelque peu différent. Leur importance varie toutefois considérablement en fonction de la zone géographique et du secteur d'activité.
Le commerce électronique a été formidable pour presque tout le monde... pendant des années... Mais aujourd'hui, pour beaucoup, le vent a tourné.
Mais qu'est-ce qui a conduit à cette évolution ?
En bref, le marché est arrivé à maturité et les taux de croissance ont baissé dans la plupart des secteurs verticaux du e-commerce. Et comme l'a dit Warren Buffet, "ce n'est que lorsque la marée baisse que l'on découvre qui nageait nu" (voir aussi notre article "E-commerce: Are You Good or Lucky?")
Intéressons-nous dans un premier temps à la question du taux de croissance.
Le commerce en ligne est par nature un secteur de la vente au détail ultra-concurrentiel, caractérisé par une lutte acharnée sur les prix, des algorithmes de tarification dynamiques et des marges réduites, ce qui rend difficile la réalisation de bénéfices importants. Cependant, tant que le marché global était en expansion, la croissance était suffisante pour tout le monde - "la marée haute soulève tous les bateaux". Mais aujourd'hui, alors la croissance obtenue aux dépens des détaillants traditionnels grâce aux clients enclins à passer à l'achat en ligne s'est tassée, la concurrence sur le marché du e-commerce montre son vrai visage : les seules parts de marché qu'il reste à conquérir sont essentiellement celles qui "appartiennent" déjà à d'autres acteurs en ligne.
Et ceci nous ramène à Porter et aux fondamentaux du marché...
Ces dernières années, les marques ont pris plus au sérieux le e-commerce D2C. Nombre d'entre elles optimisent les programmes de fidélisation pour garder leurs clients, mettent en place des stratégies professionnelles de référencement et d'AdWords et s'efforcent de développer une stratégie de différenciation. Grâce à tout cela, ainsi qu'au fait que ces entreprises sont propriétaires de leur marque et qu'elles ont donc la main sur l'assortiment, elles tendent à remporter le jeu de la différenciation dans le modèle de Porter. Elles ont encore des problèmes opérationnels internes en termes de gestion de la distribution et des canaux D2C - mais elles y parviendront toutes - en appliquant simplement des modèles opérationnels différents en fonction de leur taille et de leur secteur d'activité.
De l'autre côté du cadre, on retrouve le leadership en matière de coûts et la concurrence par les coûts.
Ce jeu est caractérisé par une réalité troublante : il vous faut monter à l'échelle supérieure et disposer de liquidités pour remporter la partie. En réalité, les marketplaces l'emportent haut la main. Des acteurs comme Amazon et Alibaba ont tout ce qu'il faut, et ils font également tout leur possible pour "s'accaparer" les consommateurs grâce à leurs nombreux services. C'est un défi que de s'approprier une part aussi importante que possible des dépenses des clients/ménages - et cela leur donne un avantage en termes de pouvoir sur le marché et de loyauté, car ils résolvent les problèmes quotidiens des ménages. C'est pourquoi les principales marketplaces sont en train d'acquérir une pertinence et une fréquence que peu pourront concurrencer. Amazon continue de prendre des parts de marché. Des détaillants comme Walmart ont créé leur propre place de marché. Et dans l'un des secteurs verticaux les plus matures - la mode - le Pure Player et le leader européen du marché basé sur les stocks, Zalando, ont ajouté une marketplace verticale à leur activité afin de s'approprier le client du secteur de la mode et de réduire les dépenses d'investissement liées aux stocks.
Les évolutions du marché laissent les pure players et les acteurs omnicanaux coincés au milieu...
On peut se demander les conséquences de ces changements sur les retailers omnicanaux et les pure players.
Porter dirait qu'ils sont "coincés au milieu", et pour notre part, nous dirions qu'ils sont sur le point de s'effondrer financièrement, avec des volumes de stock et des marges considérables nécessaires pour maintenir un assortiment à longue traîne, ce qui ne leur permet pas d'être rentables. Vendre des produits tiers que tout le monde vend par le biais des mêmes canaux constitue une tâche difficile et n'est pas suffisamment différenciant pour permettre aux clients d'acheter des produits d'une marque à l'autre et de chapeauter de nombreuses marques. En d'autres termes, être un distributeur en ligne avec tous les coûts associés ne semble pas correspondre à l'esprit de Porter ! Mais avant d'en arriver à cette conclusion, revenons sur comment on en arrive là.
Ces dernières années, les imperfections du marché ont été gommées. Les marques ont réalisé d'importants investissements dans le e-commerce. Par conséquent, le prix de la publicité augmente, ce qui nuit à la fois à la rentabilité et à la compétitivité. Ainsi, continuer à optimiser les publicités et le référencement est une course vers le bas avec seulement quelques vrais gagnants, à savoir Google et Facebook. On pourrait même dire que lorsque Google a introduit Google Shopping en plus des enchères, il a en fait créé sa propre place de marché "de facto" qui exige que tout le monde s'applique à un format fixe basé sur les flux, avec peu ou pas de place pour la différenciation.
En outre, les marques explorent plusieurs stratégies pour améliorer leur logistique. Soit elles passent par des marketplaces, soit elles construisent leur propre dispositif. Une fois de plus, cela érode l'avantage concurrentiel des Pure Players ou des acteurs de l'omnicanal.
Que reste-t-il alors ? Toutes les économies d'échelle vont aux places de marché ou aux plateformes publicitaires... les Pure Players semblent avoir perdu leur avantage concurrentiel.
Précisons que nous ne pensons pas que les Pure Players doivent faire face à leur situation en se procurant de nouvelles technologies telles qu'une CDP ou une nouvelle configuration composable. Pourquoi, me direz-vous ? Eh bien, ces stratégies sont également employées par les marques et les marketplaces les plus modernes qui disposent de plus de fonds pour acheter les bons outils et les mettre en œuvre.
Enfin, nous évoquerons les perspectives du marché. Le pouvoir d'achat des consommateurs a considérablement baissé au cours de l'année écoulée et, pour l'essentiel, la croissance a disparu. De plus, suite à la hausse des taux d'intérêt, le coût des actions a augmenté - ce qui réduit le faible bénéfice potentiel de l'entreprise.
Les Pure Players sont donc coincés au milieu et, à long terme, ils se retrouveront avec un modèle de distribution de produits de longue traîne à forte teneur en capital, n'offrant que très peu ou pas de différenciation. Cela vaut également pour les acteurs omnicanaux qui vendent des produits de tiers. Il est évidemment justifié de surfer sur la vague de l'"omnicanal", qui constitue l’avenir en matière d’interactions clients. Mais ce n'est en aucun cas une stratégie : vos difficultés sont exactement les mêmes que celles des autres acteurs de l'omnicanal. Vos problèmes sont également les mêmes que ceux de vos concurrents Pure Players. L'omnicanal ou le terme de "commerce" ne résout rien sur le plan du développement de l’entreprise : il s’agit uniquement d'une question de sémantique.
Alors, que faire ?
En réalité, le modèle de Michael Porter présente assez brillamment la solution. Vous devez vous différencier ou vous lancer dans une niche. Pour la plupart des Pure Players et des retailers, cela implique de profonds changements et de l'innovation - mais les meilleurs ont déjà entamé ce périple il y a des années.
Regardez les meilleurs retailers omnicanaux. Ils ont beaucoup travaillé sur leur assortiment et ont créé de solides lignes de marques de distributeur. Un excellent exemple est Decathlon, un retailer qui n'est plus dépendant de grandes marques comme Adidas et Nike, mais qui a construit ses propres marques et labels privés, qui sont hautement reconnus pour leur qualité et leur performance.
Une approche consiste à adopter une stratégie de marque différenciée et/ou à devenir une entreprise axée sur la communauté, où vous commencez à créer une affinité avec la marque. Cela ne se fera pas en trois ans et, pour certains acteurs du marché, il est franchement trop tard pour poursuivre cette approche s'ils ont déjà établi une relation commerciale avec leurs clients.
Les "Pure Players" pourraient choisir de revenir en arrière et de réduire leur longue traîne. Ils doivent comprendre quels sont les segments de clientèle qui sont source de rentabilité et quels sont ceux qui ne génèrent que des revenus " inutiles". Il s'agit d'une gestion classique par catégorie, mais les pure players ne se sont pas suffisamment focalisés sur ce point ces dernières années, car leur croissance massive a brouillé l'image de la rentabilité.
Les Pure Players doivent revoir et modifier leur marketing mix de manière significative. Il est temps de passer du ROAS au POAS, en comprenant que l'on ne doit acheter des publicités que pour des produits et des clients rentables. Dans un monde en récession, les chasseurs de bonnes affaires sont de plus en plus nombreux, ce qui signifie que les consommateurs deviennent moins fidèles. Ne vous trompez donc pas en croyant que vous pouvez acheter la fidélité - vous devez la mériter.
L'autre approche consiste à se lancer dans une niche complète. Bien qu'il s'agisse d'une stratégie intéressante, sachez que de nombreuses marketplaces continuent d'élargir leur assortiment et que le coût des stocks ne cesse d'augmenter. Le choix d'une niche peut donc s'avérer risqué et à court terme.
Conclusions et enseignements clés
Nous pensons fermement qu'il s'agit de la fin d'une époque. Mais c'est aussi le début d'une nouvelle ère pour le e-commerce.
Ce constat est important car chacun doit garder à l'esprit le pire des scénarios pour tout acteur présent sur un marché : la situation où vous avez fait tout ce qu'il fallait pour optimiser votre activité commerciale à court et moyen terme, mais où, malgré tout, votre action n'a pas été suffisante pour garantir la bonne santé, la durabilité et la rentabilité de votre activité à long terme.
Les Pure Players et les retailers (y compris les acteurs omnicanaux) doivent revoir leur GTM et innover afin d'occuper des positions stratégiques plus fortes. Nous sommes convaincus qu'il s'agit là d'une priorité à long terme - et, malheureusement, l'achat de nouvelles technologies ou la poursuite de la course vers le bas ne résoudront pas vos problèmes.
Les points clés à retenir :
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La dynamique du marché a changé :
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La récession est installée
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Le coût des stocks augmente
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Les marketplaces prennent la position de leader en matière de coûts
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Les marques gagnent la position de différenciation, car elles investissent massivement dans le e-commerce et les technologies.
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Michael Porter a raison en ce qui concerne le secteur du e-commerce.
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La concurrence va s'intensifier, ou s'est déjà intensifiée, dans la plupart des secteurs de l'e-commerce. Seuls ceux qui développent une relation avec le client au-delà de l'assortiment de produits, des prix et des avantages pratiques survivront à long terme et réaliseront des bénéfices.
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La croissance ne suffit pas ; seule une croissance digitale rentable crée de la valeur.
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Il est temps de prendre des mesures correctives :
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Revoir votre stratégie d'assortiment
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Réduire la longue traîne
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Développer des lignes commerciales privées fortes
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Développer l'affinité avec la marque au-delà des transactions
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Rendre transparent le coût total du service à la clientèle
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Passez du ROAS au POAS
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L'honnêteté et la rapidité d'exécution dans l'organisation et les opérations détermineront votre capacité à effectuer des ajustements.
À propos des auteurs
Carsten Pingel exerce depuis 15 ans dans le domaine de la stratégie digitale et du développement d'entreprise. Au cours de sa carrière, il a notamment contribué au rachat et à l'expansion d'entreprises e-commerce multimarques à forte croissance et permis la transformation digitale du plus grand groupe de médias nordique, Egmont. Il a également travaillé sur le développement commercial et la stratégie des aéroports de Copenhague et a occupé des postes de direction dans des entreprises e-commerce et SAAS à forte croissance. Aujourd'hui, Carsten dirige l'unité de conseil en stratégie au sein de Valtech, dont la mission est d'aider les entreprises dans leur transformation digitale et d'utiliser les données pour accélérer la croissance.
Toke Lund travaille dans le conseil en gestion, à la tête des services stratégie et connaissance des consommateurs du groupe LEGO, au service de la transformation digitale du groupe Salling et en tant que consultant en stratégie digitale chez Novicell. Toke a fondé Enterspeed, une société de logiciels qui propose un produit très performant appelé Speed Layer, capable d'accélérer la transformation digitale et les systèmes de gestion composables.